Champagnes Bricout et Delbeck / Le procès des fausses factures

Publié le lundi 14 mars 2011 à 07H55

 

 

 

EPERNAY (Marne). Le procès de l'ex-patron des maisons Bricout et Delbeck s'ouvre aujourd'hui devant le tribunal correctionnel de Reims.  Pierre Martin, son directeur financier, Louis Fariello, son commissaire  aux comptes, Thierry Janus,  et Luc Lhermite, un courtier en vins d'Epernay, doivent s'expliquer sur les artifices d'une escroquerie à la fausse facture chiffrée à 33 millions d'euros.

 

 

DES factures bidons ou en doublon, de faux bilans comptables remis aux banques, des ventes fictives de champagne, des titrisations de stocks dispendieuses et des lettres de change douteuses… Pendant deux jours au moins, les juges du tribunal correctionnel de Reims vont décortiquer les méthodes qui avaient cours au sein de l'empire Martin afin de renflouer les caisses de ses maisons de champagne et de noyer un passif abyssal creusé entre la fin des années quatre-vingt-dix et le début des années 2000.
Le scandale éclate le 11 mars 2003 par la grâce de la société Champagne Moët et Chandon. Celle-ci vient d'être sollicitée par la société EUROFACTOR pour le règlement d'une facture d'un montant vertigineux. Une créance que la dite société d'affacturage a déjà réglé rubis sur ongle à l'émetteur, la société vinicole Martin et Fils. La transaction présumée porte sur 5 082 hectolitres de vins clairs pour un montant de 4,82 millions d'euros. Stupeur donc puisque cette facture établie en date du 4 juillet 2002 ne vaut pas un kopeck. Tout comme est « bidon » l'attestation du courtier en vin qui entend lui donner un vernis de respectabilité.
Pierre Martin, édile de Bouzy, ex-président de la chambre de commerce d'Epernay et petit viticulteur devenu patron d'une holding champenoise, et Luc Lhermite, courtier en vin d'Epernay, se retrouvent derechef dans le collimateur de la justice.

 


Folie des grandeurs

Tous deux sont suspectés d'avoir orchestré une fuite en avant au moyen de fausses factures qui a conduit les maisons Bricout et Delbeck à l'apoplexie. Fin avril 2003, le binôme se retrouve en prison en compagnie de Louis Fariello, directeur financier du groupe. Les trois hommes sont ni plus ni moins soupçonnés d'escroquerie, d'abus de biens sociaux ou de recel, de faux et usage de faux, de banqueroute et complicité pour l'essentiel.
Au fil de l'enquête, les policiers du SRPJ de Reims ont découvert toute une série de factures « bidon » ou en doublon émis au nom de plusieurs maisons de champagne et au préjudice d'EUROFACTOR. Le plus souvent, elles sont adossées à des validations fictives émanant du Comptoir de Courtage Champenois (CCC) de Luc Lhermite. De fausses lettres de confirmation que ce dernier admet avoir signé sous la dictée de Pierre Martin.
Pour le courtier, l'intérêt est triple. Il rêve de se faire mousser en décrochant la palme de premier courtier en vin de la place. Il espère aussi devenir le partenaire privilégié de Piper Heidsick ou de Pommery que Pierre Martin ambitionne d'acquérir dans sa folie des grandeurs.

Débauche d'artifices


Et comme l'espoir ne fait pas vivre, Luc Lhermite pousse le bouchon jusqu'à empocher de confortables commissions sur les transactions, y compris fictives. Montant des gains : deux millions d'euros. Comme il n'y a pas de petits profits, il perçoit aussi une prime de 76 000 euros de la part de la société Bricout pour une avance de trésorerie de 514 000 euros liée à d'autres sociétés du groupe.
L'addition est salée puisque l'arnaque porte sur dix-sept créances fictives pour un montant total de 33 millions d'euros. Une arnaque aux fausses factures dont Pierre Martin ne nie pas l'existence, même s'il la minimise en parlant de fumeux « compléments de facturation ». Il implique au passage son directeur financier qui ne pouvait ignorer les malversations de part ses fonctions et les comptes rendus dont il était destinataire. Faisant d'une pierre deux coups, les deux aigrefins ont d'ailleurs poussé le vice jusqu'à intégrer les fausses factures dans la colonne « factures à recevoir » afin de doper le bilan de l'année 2001.
Dans cette fuite en avant aux allures de cavalerie, les maisons de champagne ne sont pas davantage à la noce.
Car de grosses quantités de vins clairs ont été vendues deux fois. Quoique juteuses, ces escroqueries présumées ne suffisent pas à étancher la soif de Pierre Martin qui rêve d'étendre son empire et de le moderniser, comme avec l'acquisition de locaux flambant neufs à Tours-sur-Marne pour 7 millions d'euros.

Bilans maquillés


Alors, parallèlement, ses sociétés se gorgent de liquidités en usant d'artifices ruineux comme les ventes à réméré ou les titrisations de stocks (voir par ailleurs).
On n'hésite pas à présenter de faux bilans pour maquiller une lente descente aux enfers et ainsi garder la confiance des banques. Pierre Martin et Louis Fariello reconnaissent les faits du bout des lèvres, préférant le terme de « bilans prévisionnels ».
Le contraire eut été difficile puisque les documents litigieux sont frappés des initiales « L F ».
Un autre acteur joue un rôle déterminant pour entretenir le flou artistique qui masque la déconfiture de l'empire Martin. Cet homme, Thierry Janus, n'est pas moins qu'expert comptable et commissaire aux comptes en charge notamment du contrôle des deux principales sociétés du groupe, les SA Financière Martin et Champagne Bricout et Koch.
Il est soupçonné d'avoir délivré des attestations qui ne reflétaient en rien l'état de la bulle financière des maisons de champagne.
Des pratiques d'autant plus troublantes que le même expert faisait des « ménages » chez Martin comme cet audit en vue de l'acquisition de Piper Heidsick facturé 120 000 euros et des poussières.

Eric LAINÉ
elaine@journal-lunion.fr

 
 

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